Le bon gras et l’ivraie

5 septembre 2011 Un commentaire Par Ghislaine

Je crois que c’est le sujet sur lequel on me pose le plus de questions: le gras. C’est un sujet assez complexe, non seulement parce qu’il regroupe des composés très divers, mais aussi parce que nos connaissances sur les effets du gras sur la santé ne cessent d’évoluer. Pour ceux qui n’aiment pas la chimie, passez directement au paragraphe « Ce que disent les études scientifiques » 😉

Les différentes sortes de gras

Lorsqu’on parle de gras, selon la personne à qui on s’adresse, on ne va pas du tout utiliser le même vocabulaire : pour les scientifiques, on parle de lipides et on les classe en fonction de leur composition chimique. Pour les autres, on différencie les corps gras en fonction de leur état à température ambiante: beurre et margarine d’un coté, huiles de l’autre.

Longtemps, les nutritionnistes ont utilisé une autre classification : celle de leur origine. Il y avait d’un coté les graisses animales et de l’autre les graisses végétales. Aujourd’hui, ils rejoignent les scientifiques et se basent plus facilement sur la composition chimique d’un corps gras pour la qualifier.

Un (tout petit) peu de chimie

Les lipides ont un rôle important dans l’organisme: ils sont les constituants principaux de la paroi des cellules, servent à fabriquer de nombreuses hormones et sont une réserve d’énergie pour le corps, stockée dans les adipocytes. Ils regroupent le cholestérol, les phospholipides et les triglycérides. Ces derniers sont constitués principalement par les acides gras, qui pour simplifier sont quasiment les seuls à être considérés dans l’alimentation (à part le cholestérol).

Le cholestérol est un lipide à part. Contrairement à une idée répandue, il n’y a pas de « bon » ou de « mauvais » cholestérol: cette dénomination provient du dosage du cholestérol sanguin qui est lié à plusieurs types de transporteurs. Les LDL sont les transporteurs qui amènent le cholestérol vers les organes. S’il y en a trop, il s’accumule dans les artères et peut les boucher. Les HDL sont les transporteurs qui amènent le cholestérol vers le foie pour qu’il soit transformé: il va donc participer à désengorger les artères, c’est le « bon » cholestérol.

D’autre part, le cholestérol est exclusivement d’origine animale: pas de cholestérol dans les olives, les noix ou les bananes.

Les acides gras, comme leur nom l’indique, sont constitués d’une tête acide, donc soluble dans l’eau, et d’une chaîne de carbone. Cette chaîne de carbone leur donne leur spécificité. Ils sont classés en 3 grandes familles, que l’on retrouve de plus en plus souvent sur les étiquettes des aliments: les « saturés », dont la chaîne de carbone est remplie au maximum d’hydrogène, les mono-insaturés, qui possèdent une double liaison et les poly-insaturés, qui possèdent plusieurs doubles liaisons. Un peu complexe me direz-vous… Oui, mais ces doubles liaisons sont vraiment très importantes : elles forment des coudes sur la chaîne de carbone, permettant de nombreuses configuration dans l’espace.

Les graisses ayant une forte proportion de saturés sont généralement solides à température ambiante (elles n’ont pas de coude donc elles « collent » plus facilement entre elles).

Les poly-insaturés sont le plus généralement liquides. Ils regroupent deux familles très médiatiques : les oméga 6 et les oméga 3. Ces deux familles sont effectivement exceptionnelles, car elles viennent forcément de l’alimentation : notre organisme ne sait pas les fabriquer. Or elles ont un rôle majeur dans notre système immunitaire, à l’origine de molécules pro-inflammatoires pour les oméga 6 et anti-inflammatoires pour les oméga 3.

Une autre caractéristique importante des acides gras est la longueur de leur chaîne de carbone, notamment pour les acides gras saturés. Ces derniers ont longtemps été considérés comme une famille homogène et « mauvaise pour la santé ». Il apparaît aujourd’hui que certains saturés sont probablement neutres voire bénéfiques (certains AGS à chaîne courte des produits laitiers et l’acide stéarique C18 )¹.

Ce que disent les études scientifiques

Le traitement médiatique des graisses est assez amusant à raconter. Les premières études épidémiologiques portant sur les liens entre alimentation et santé datent des années 60, sous le nom d' »études des sept pays ». Ce sont ces études qui ont rendu le régime crétois célèbre et jeté l’opprobre sur les acides gras saturés.

A la suite de ces études, il était de bon ton d’opposer les graisses saturées, mauvaises pour la santé, et les graisses insaturées, bonnes pour la santé. De façon encore plus grossière, l’équation courante était : graisse animale = graisse saturée = mauvais, graisse végétale = graisse insaturée = bonne. Jusque dans les années 80/90, on vantait à la télévision les huiles végétales hydrogénées pour faire les frites (les frites dansaient et plongeaient dans la graisse…) et l’huile de tournesol pour les salades.

Aujourd’hui, on vante le poisson car c’est une source d’oméga 3 et l’huile de palme fait l’objet d’une alliance improbable entre nutritionnistes et écologistes, car en plus d’être accusée d’engraisser nos artères, elle est la cause de la destruction de la forêt de Bornéo, habitat naturel de nos cousins les Orang Outan ! L’animal est devenu bon et le végétal, mauvais.

En ce qui concerne les insaturés, l’huile d’olive vit encore son heure de gloire et les oméga 3 aussi. En revanche, les oméga 6 sont passés du côté obscure de la force, car on s’est aperçu qu’on en consommait jusqu’à 5 fois trop. En effet, même s’ils sont « essentiels », il nous faudrait en consommer 5 pour 1 oméga 3. Or, les apports sont de 25 pour 1 : on considère que notre régime est « pro-inflammatoire » et qu’il favorise le dépôt de gras sur les artères.

Enfin, les oméga 3 aussi sont regardés de près. En effet, les études montrent qu’ils ont des effets bénéfiques sur de nombreux plans : fonctionnement du cerveau, artères… Mais encore faut-il qu’ils ne soient pas maltraités ! Car ces petites choses sont fragiles. Lorsqu’ils sont chauffés, qu’ils restent trop longtemps à la lumière ou à l’air, ils s’oxydent et là, ils ne sont plus bons du tout. Ni pour la santé, ni au goût : c’est le rancissement.

Et dans la cuisine ?

Vous voilà bien avancés maintenant, avec tout ça 😀

Parce qu’évidemment, sur les étiquettes, ce n’est pas aussi clair : si les huiles alimentaires sont relativement identifiées (les mentions oméga 3, huile d’olive ou « mélange cuisson » sont généralement très visibles), sur les aliments préparés on ne sait pas vraiment ce qui est utilisé comme graisse. Voici quelques éléments de lecture qui peuvent vous aider :

Huile de palme : d’un point de vue nutritionnel elle est lié à une augmentation du risque de maladie cardiovasculaire du fait de sa richesse en acide palmitique. On en a beaucoup parlé ces derniers temps suite à une campagne de Greenpeace dénonçant la déforestation pour planter des palmiers à huile. Son utilisation par les industriels a beaucoup baissé, mais les remplaçants ne sont pas forcément meilleurs d’un point de vue environnemental… je laisse les experts commenter s’ils ont des infos ! 😉

Huile végétale : en général, il s’agit d’huile de palme. Ce n’est pas la meilleure huile et il faut en limiter la consommation. Si c’était autre chose, la marque l’aurait indiqué : ça leur coûte assez cher de remplacer l’huile de palme par une autre. De nombreuses marques l’ont d’ailleurs remplacée par l’huile de tournesol ou un mélange d’huile, comme McCain ou Findus.

– Huile végétale hydrogénée : celle-là est à éviter si possible. L’hydrogénation consiste en la transformation d’un acide gras insaturé en acide gras saturé. Si vous avez suivi, vous penserez que c’est débile de faire cette opération et nutritionnellement vous aurez raison. Sauf que les saturés sont solides à température ambiante, et c’est une caractéristique très recherchée par les professionnels de l’alimentation : allez faire une pâte feuilletée avec de l’huile, vous m’en direz des nouvelles…

– L’huile « partiellement hydrogénée » : là c’était vraiment la cata car en plus de saturer les acides gras, ceux qui n’étaient pas complètement saturés devenaient des acides gras trans, encore pires. Des progrès ont été fait dans ce domaine, mais s’il est indiqué « partiellement hydrogéné », alors évitez vraiment : les acides gras trans d’origine industrielle sont liés à l’augmentation des maladies cardiovasculaires, encore plus que les saturés.

Pour ceux qui aiment la chimie (il y en a), je vous conseille le cours de la fac de Lille sur l’hydrogénation des huiles.

Je n’ai pas encore parlé du beurre, honte à moi ! Le beurre (et la crème aussi d’ailleurs) est une matière grasse à part car il contient des saturés très divers, au contraire des graisses végétales.

Je reprend ici une citation du Pr Lecerf sur la matière grasse laitière : « [elle] comprend plus de 400 acides gras différents, dont l’acide butyrique caractéristique de la graisse laitière, les acides myristique, laurique, palmitique et stéarique (saturés), mais aussi oléique (monoinsaturé), linoléique et alpha-linolénique (essentiels), transvaccénique et ruménique (CLA). La composition en acides gras dépend en faible partie de l’alimentation animale et de la saison. Bien sûr, le beurre est une source de cholestérol alimentaire, (250mg) mais aussi de vitamine A, dont c’est la source majoritaire et de vitamine D en petite quantité. »

Pour le beurre, la seule précaution à prendre est de ne pas le faire cuire, car alors il s’oxyde et devient mauvais pour la santé.

Petit point sur la cuisson, les tartines et la salade

Si on schématise, plus une huile est saturée et plus elle sera stable à la cuisson. Il faut donc privilégier les huiles mono-insaturées comme l’huile d’olive ou l’huile d’arachide lorsqu’on veut frire des aliments. Les grandes marques proposent des mélanges d’huiles spécialement étudiées pour la friture, comme Isio 4 ou Frial (ce billet n’est pas du tout sponsorisé je rappelle), personnellement c’est ce que je prends à la maison.

Pour les tartines, je n’utilise que du beurre. Je n’ai pas de problème de cholestérol donc je n’ai jamais essayé les margarines oméga 3 ou enrichies en phytostérols, qui peuvent être de bonnes alternatives (si à coté vous avez un régime vraiment équilibré, parce qu’elles ne font pas de miracle non plus !).

Pour la salade l’huile de colza est parfaite, un peu d’huile d’olive pour le goût… Et sinon il y a l’huile de noix, qui transforme toute la salade en un délice du sud-ouest. J’adore l’huile de noix ! Non seulement elle est extraordinaire au goût mais en plus elle est très bonne nutritionnellement. A condition de ne pas être rance. Un petit conseil si vous aimez ça aussi : achetez de petites bouteilles et stockez les dans un endroit vraiment frais et vraiment noir. Pas dans l’arrière cuisine près du chauffe-eau 🙂

En conclusion, pour le gras comme pour le reste, le maître-mot reste le bon sens : l’huile d’olive ou l’huile de noix sont certes de bonnes huiles, néanmoins elles contiennent 100% de matières grasses. Ayez la main légère, privilégiez la diversité et le goût, et tout ira bien.

J’espère que ce billet répondra à vos questions, désolée il est un peu long mais il y a tellement de choses à dire ! Si vous avez des questions ou des remarques, n’hésitez pas à commenter…

¹J.-L. Schlienger, Nutrition clinique pratique, Elsevier-Masson, 2011
²Keys A et al., Epidemiological studies related to coronary heart disease: characteristics of men aged 40-59 in seven countries, Acta Med Scand Suppl. 1966;460:1-392
 

Un Commentaire

  1. Florence dit :
    Le 23 septembre 2011 - 20:19

    Merci Ghislaine pour ces informations ! Cela me donne des éléments complémentaires pour tenter de faire le bon choix au moment de remplir mon panier à provision !

    Mon mari et mes enfants étant tous les trois atteints d’une hypercholestérolémie familiale, j’essaie quotidiennement de combiner le plaisir de la table et les contraintes médicales.

    D’autant plus que les changements de discours des spécialistes sont fréquents. Nous sommes par exemple passés du « Attention aux cacahuètes » car « mauvais gras » à « Une consommation régulière est souhaitable » car « bon gras » ! Il en va de même avec nombre d’aliments (comme les avocats).
    Rien de tel pour innover en matière de recettes et favoriser la diversité alimentaire de mes enfants…

    Bref, comme dans tous les domaines, il faut savoir évoluer en même temps que les connaissances sur le sujet, éviter les certitudes… et accepter (voire apprécier) de changer régulièrement ses habitudes !

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