Yaourts et obésité

22 juin 2012 7 commentaires Par Ghislaine

Je ne parle généralement pas de sujets liés à mon travail, mais là, il faut vraiment que je vous parle des yaourts.

Une étude, parue le 24 mai dernier dans la revue Microbial Pathogenesis¹, a fait beaucoup de bruit. Sur internet, les articles titrent « les yaourts font-ils grossir » et donnent même le nom des responsables : les probiotiques. J’ai regardé de près l’article en question et je peux vous dire que non, les probiotiques ne font pas grossir et que oui, vous pouvez manger des yaourts sans avoir peur pour votre tour de taille.

Tout d’abord, la méta-analyse à l’origine de la polémique porte majoritairement sur des animaux d’élevage : 70 études sur les 82 prises en compte par les chercheurs. Ces animaux sont par définition en croissance, et la prise de poids n’a pas été caractérisée : masse grasse ou masse maigre, ce n’est pas la même chose, on ne peut pas confondre croissance en bonne santé et obésité !

Que disent les études chez l’homme ?

Sur les 12 études chez l’homme, 4 sont déclarées par l’auteur comme montrant une « prise de poids » après la prise de probiotiques. En réalité :

  • L’une d’elles concerne des sujets adultes². Les variations de poids sont de 40 g après 3 semaines de traitement et de 210 g à 6 semaines, ce qui selon les auteurs de l’étude « est négligeable ».
  • La deuxième³, réalisée en 1952 (!), montre que l’ajout de probiotiques dans l’alimentation des nourrissons favorise la croissance. Néanmoins, les nourrissons nourris au biberons + probiotiques grandissent moins que ceux nourris seulement au sein ou au sein + probiotiques…
  • Les résultats des deux dernières études ne sont pas accessibles (elles ne sont pas référencées dans le papier) et leur analyse n’est pas faite dans l’article… Et vu les erreurs de jugement sur les deux premières, j’ai du mal à le croire sur parole. Néanmoins si quelqu’un peut me les envoyer, je suis preneuse !

Que disent les études chez l’animal ?

Les articles mentionnent les espèces de probiotiques à l’origine de la prise de poids, et mettent en cause les lactobacilles. Quand on y regarde de plus près, certaines des expériences citées sont consacrées à la recherche d’un effet « anti-obésité » chez des animaux minces ou chez des obèses (1 seul essai chez l’homme, 6 essais chez l’animal). L’effet « anti-obésité » est clairement démontré dans tous les cas.

Les autres expériences étudient l’effet de différentes espèces de lactobacilles sur le gain de poids : ils s’expliquent par une meilleure résistance aux maladies chez le poulet⁴ et chez la souris⁵ ou par un effet anti-diarrhéique  qui induit une meilleure croissance des animaux⁶. Les effets des probiotiques sont donc bénéfiques pour leur croissance, grâce à une meilleure résistance aux maladies, mais n’induisent pas de prise de masse grasse.

Science et alimentation… Attention aux effets d’annonce !

Les produits laitiers fermentés comme le yaourt, les fromages ou les laits fermentés contiennent des bactéries aux propriétés bénéfiques utilisées depuis des centaines, voire des milliers d’années. Ces bactéries sont l’objet d’études scientifiques depuis le début du 20ème siècle.

Depuis 20 ans et l’amélioration des techniques de recherche scientifiques, le nombre d’études sur les probiotiques ne cesse d’augmenter. Les études scientifiques sont particulièrement prometteuses sur l’influence positive des probiotiques sur le système immunitaire et le système digestif, et les champs de recherche s’élargissent en permanence. J’avais d’ailleurs fait un article sur les découvertes récentes sur le microbiote.

La diffusion d’informations sur les travaux de recherche en cours est une bonne chose, car elle participe à l’amélioration des connaissances sur notre alimentation et montre le formidable élan de la recherche dans le monde. Néanmoins les conclusions des études scientifiques sont à manier avec prudence…

Bon appétit !

¹ Comparative meta-analysis of the effect of Lactobacillus species on weight gain in humans and animals, Million M, et al. Microb Pathog. 2012 May 24

² Yoghurt enriched with Lactobacillus acidophilus does not lower blood lipids in healthy men and women with normal to borderline high serum cholesterol levels. de Roos NM, et al., Eur J Clin Nutr. 1999 Apr;53(4):277-80

³ Experimental feeding tests with Lactobacillus acidophilus., Robinson EL., Thompson WL. AMA Am J Dis Child. 1952 Dec;84(6):757-8

⁴ Effect of Lactobacillus acidophilus and zinc bacitracin as dietary additives for broiler chickens, Abdulrahim SM. et al., Br Poult Sci. 1999 Mar;40(1):91-4

⁵ Safety and efficacy of probiotic lactobacilli in promoting growth in post-weaning Swiss mice. Bernardeau M, et al., Int J Food Microbiol. 2002 Jul 25;77(1-2):19-27

⁶ Effect of administration of bifidobacteria and lactic acid bacteria to newborn calves and piglets. Abe F, et al., J Dairy Sci. 1995 Dec;78(12):2838-46

Image : Shutterstock

 

7 Commentaires

  1. Brice dit :
    Le 24 juin 2012 - 17:31

    Ce qui est intéressant, c’est qu’après des années de communication massive de l’industrie agro-alimentaire sur les yaourts qui font du bien au transit, qui font maigrir ou qui s’appellent tout simplement « Taillefine », la rechercher s’oriente enfin sur ce sujet.

    Peut-être même est-ce là qu’elle puise sa force, dans l’imaginaire collectif, lors d’annonces à grand renfort de presse comme celui que tu dénonces : Pourquoi les fabricants de yaourts auraient-ils communiqué sur le fait qu’ils ne font pas grossir si c’était si évident ?

    De façon plus générale, quand on voit la rapidité à laquelle grandit (et donc grossit) un bébé alimenté uniquement de lait, on ne peut que constater la puissance de cet aliment au niveau de l’apport nutritionnel.

    De là à en faire la cause de tous nos kilos en trop il n’y a plus qu’un tout petit pas. Et c’est au passage un délice pour les psychanalystes sur le thème du rapport ambivalent à la mère, symbole universellement associé au lait. Douce vengeance, son lait est un poison !

    Si seulement la consommation de yaourts ou de produit laitiers avait progressé au même rythme que l’obésité aux Etats-Unis et en Europe, ce serait un scandale si parfait…

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    • Ghislaine dit :
      Le 25 juin 2012 - 23:31

      Mais le truc… C’est que tous les aliments font grossir, forcément ! Il n’existe pas d’aliment acalorique… Ce qui est grave, c’est effectivement de faire croire aux gens que ca existe.
      Un sociologue de l’alimentation a fait un jour l’expérience de demander à des gens d’évaluer le nombre de calorie d’un plat. Il a noté le chiffre et un peu plus tard, il a rajouté de la salade ou des légumes à ce plat et leur a redemandé d’évaluer le nombre de calories. Les personnes ont donné des chiffres plus élevés sur le plat sans les légumes. Comme si la salade pouvait soustraire des calories à un hamburger.
      Je trouve cette expérience intéressante car c’est à mon avis un peu l’effet de la campagne « manger 5 fruits et légumes ». Les gens pensent qu’ils peuvent grignoter des fruits toute la journée et que ça ne pèse pas dans la balance… Mais si, le problème aujourd’hui ce n’est pas tellement tel ou tel aliment, c’est le fait de manger trop, tout le temps…

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  2. Morgan dit :
    Le 26 juin 2012 - 08:20

    Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme !
    Y compris l’énergie 😉
    Merci pour la justesse, la finesse et la sagesse de l’article !

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  3. Laurence Haurat dit :
    Le 27 juin 2012 - 13:08

    Il y a quand même quelque chose qui me laisse perplexe : certes la recherche est pertinente et fait avancer le système mais en même temps, la recherche en nutrition est bien souvent l’objet de controverses : aspartame, probiotiques, pain, chocolat, produits laitiers… plus on avance et moins on y voit clair.

    Je pense, après avoir lu ton article, que c’est sûrement parce que la recherche est très détachée de la dimension pratique de l’alimentation humaine. En effet, il y a une chose dont tu ne parles pas dans ton article, c’est à quelle quantité de « vrais » yaourts correspondent les « traitements » reçus par les animaux ? Tu le dis très bien, ça fait des milliers d’années que l’homme ingère des laits fermentés (donc des quasi yaourts) à raison de 1 ou 2 yaourts par jour… Si on donne artificiellement l’équivalent de 12 yaourts par jour en probiotiques à un animal et qu’il grossit, pourrait-on pour autant extrapoler à l’humain et à sa consommation moyenne ?

    Le chercheur et le scientifique ont le nez dans leurs chiffres et ne voient pas que la traduction en acte par l’humain est très loin de ce qu’ils observent de façon expérimentale.

    Et puis une fois encore, tous les aliments font grossir, comme tu le dis dans ton commentaire ou font maigrir, du plus pauvre au plus riche. En parlant des yaourts, je viens de quitter une patiente qui m’a expliqué se forcer à manger des yaourts tous les jours parce que dans sa représentation, un yaourt, ça ne fait pas maigrir, d’accord (même s’il est à 0%) mais pour elle, ça ne fait pas grossir non plus. Quand je lui ai demandé si c’était donc de l’eau pour ne faire ni maigrir ni grossir, elle s’est alors rendue compte des idées reçues avec lesquelles elle compose son alimentation… Une bonne potée d’idées reçues !

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    • Ghislaine dit :
      Le 27 juin 2012 - 14:37

      « Le chercheur et le scientifique ont le nez dans leurs chiffres et ne voient pas que la traduction en acte par l’humain est très loin de ce qu’ils observent de façon expérimentale. »

      C’est très vrai ! D’ailleurs c’est aux professionnels de santé de faire le lien entre la science et la pratique… Les diététiciens ont ici un rôle central, pour pouvoir faire une analyse critique des articles et « traduire » la science auprès de leurs patients.

      Je serais plus nuancée sur le fait que

      « plus on avance et moins on y voit clair »

      j’ai plutôt l’impression que plus on avance et plus on démontre scientifiquement l’intérêt de notre culture alimentaire : prendre le temps de manger, manger de tout, manger en famille… La seule chose réellement remise en question finalement c’est : « finis ton assiette » 😀

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      • Brice dit :
        Le 27 juin 2012 - 22:17

        La seule chose réellement remise en question finalement c’est : « finis ton assiette »

        D’autant plus affolant qu’on sert souvent les mêmes portions à tout le monde indépendamment de l’âge, du poids, etc. En particulier, ça me choque toujours dans les restaurants qu’on me serve la même part qu’une jeune femme qui pèse 30% de moins que moi (ou qu’un bon vivant qui pèse 50% de plus…).

        Et je crois que plus on avance… plus on avance ! Je m’explique : plus notre compréhension est fine et révèle la complexité du monde, ce qui rend le travail d’explication d’autant plus important. Quelle chance j’ai de vous connaître toutes les deux ! 😉

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